Y a-t-il de bonnes revues de géographie ?

4 juin 2015

(page mise à jour en novembre 2022)

Bibliographie Critique de Géographie voudrait vous présenter les principales revues de vulgarisation de la géographie.

La plus accessible est en kiosque, il s'agit de Carto.

Le bimensuel a 80 pages, tout en couleur. Pas une page n'est sans carte, et depuis peu des photos font leur apparition.

Les premières pages de la revue vous tiennent au courant de l'actualité de la discipline et les dernières de l'actualité des parutions. La plupart des articles sont volontairement courts : une à 4 pages. Il s'agit plus de cartes commentés que d'articles mais c'est justement tout leur intérêt. Les thèmes de ces articles sont souvent originaux ; pour ne prendre qu'un exemple, dans le numéro 73 (septembre-octobre 2022), la carte sur le commerce de captagon (drogue des terroristes, pour le dire très simplement) est passionnante. La revue explore de plus en plus de thèmes et de vocabulaire de géographie : pp 38 à 40 (du n° 73, donc), on vérifie la notion de "malédiction pétrolière" dans le delta du Niger. La revue explore aussi, encore timidement, les méthodes de la géo avec pp 28 et 29 (toujours du n°73) un beau jeu d'échelles sur les quartiers riches de Monterrey, au Mexique.

Dans chaque numéro, un dossier d'une vingtaine de pages approfondit un thème. Il s'agit souvent de pays ou régions, sans trop coller à l'actualité, ou il s'agit de sujets de concours. Ce dossier est souvent construit en collaboration avec un spécialiste qui y présente des extraits d'une parution récente.Celui-ci est écrit par un géographe qui renvoit à une publication réçente.

Carto, fondée en 2010, est en train de s'imposer comme la revue de référence en géographie grand public. D'ailleurs, c'est la seule... Ses auteurs, journalistes, font d'excellentes synthèses et laissent parfois la plume à des universitaires. Avec Carto, c'est Aréion Group, surtout spécialisé dans la géopolitique (revue Diplomatie, revue Moyen Orient...), ayant un pied dans l'information militaire, qui réussit à nous proposer tous les 2 mois une revue de géographie accessible ; et qui le réussit bien.

Pour le grand public, la géographie, c'est GEO.

Difficile en effet d'ignorer ce mensuel. Et pourtant notre bibliographie critiquera bien volontiers la ligne éditoriale de GEO, qui penche trop vers le tourisme en oubliant bien des aspects des territoires évoqués. C'est dommage. Mais c'est tellement logique : pour rêver, il faut se donner l'illusion que la nature est immaculée. Pour rêver, il faut se donner l'illusion que les hommes "typiques" rencontrés çà et là sur terre sont déconnectés des circuits économiques, de la consommation de masse, autant de choses que les lecteurs de GEO n'ont pas envie de subir quand ils voyagent à l'autre bout du monde. Par conséquent, on reconnaitra donc l'intérêt de lire GEO pour la géographie physique, pour une certaine géographie culturelle, ainsi que pour rêver ! Et faire de la géographie, avec ou sans les bons concepts, les bons mots, c'est toujours rêver un peu !

La Géographie, terre des hommes est aussi un bimensuel. D'un format 22X17cm, pour 66 pages abondament illustrées en couleur, ce bulletin de la vénérable Société de géographie est très accessible aussi. Les articles sont courts et inégaux, les photos en particulier sont de vrais supports d'information géographique et non de simples illustrations. Les livraisons sont inégales : après une longue série de numéros moyens - c'est notre avis - ces dernières années de très bons numéros sont sortis ( le n°1550 sur la Chine, avec des angles d'approche variés ; le n°1553, bien qu'assez technique, sur les énergies marines ; le n°1556 sur les pélerinages ; le n°1573 sur les Ruralités françaises).

Le site Internet de la Société de Géographie est devenu très intéressant, même si sa fréquentation est assez faible

Tous les 2 mois, c'est avec grand plaisir que Bibliographie Critique de Géographie recoit la dernière livraison de Population et Avenir. Cette revue vénérable (elle en est à sa 7ème centaine), adossée à une association et surtout au démographe Gérard-François DUMONT est une revue très fine (20p) en couleurs qui diffuse des analyses parfois brillantes, toujours territorialisées, toujours étayées de cartes, tableaux, photos. Chaque numéro comporte un exercice pédagogique corrigé pour faire classe. Alors certes l'analyse n'est pas très fouillée, les données sont présentées souvent de manière un peu brutes mais c'est un peu la particularité de la maison. Un peu comme si c'était au lecteur de se faire son opinion. Malgré çà, la revue a le chic pour poser -et répondre à- des questions fort intéressantes (sur le "match démographique entre France et Grande-Bretagne dans le n°717 ; sur l'étonnant rapport entre construction de logements et dynamisme démographique... pour en savoir plus lire le n°711). Il ne passe pas un numéro sans qu'on apprenne un concept géographique fort utile : les "boomburbs" (n°702), le "divdende démographique" (n°719)... On ne sera pas non plus épargné par des articles ou éditoriaux engagés : il y a les prises de position de Gérard-François DUMONT, qui dénonce par exemple le "meurtre géographique" de l'espace rural par l'INSEE en 2011, ou au sujet de l'immigration ; mais il y a aussi une liberté de ton propre aux vrais chercheurs qui ne peuvent pas voir autre chose que de la "crise" là où les indicateurs sont au rouge ou de la vraie "richesse" quand un territoire est consacré au Gotha ; qui ne peuvent pas voir autre chose que le début d'une -peut-être- longue phase d'accentuation des inégalités territoriales (n°722), là où le discours officiel ne parle que de "compétitivité".

Le numéro 714 dresse un inventaire certes un peu décousu mais fort intéressant des initiatives territoriales, qui en France ont réussi à forcer le destin économique. Un dossier original, typique de la ligne éditioriale de la revue. Et tant mieux si, au fil des pages et des numéros, l'aspect matheux et statisticien de la démographie (puisque çà reste une revue de démographie) passe au second plan.

Vous lisez déjà ces 3 revues régulièrement. Pas de doute, votre regard de géographe est au point mais vous manquez un peu d'approfondissement. C'est pourquoi vous ne pouvez ignorer :

La Documentation Photographique consacre un numéro sur deux à un sujet de géographie. Les meilleurs spécialistes sont alors convoqués pour rédiger un numéro de la prestigieuse revue, aidés par une mise en page très au point, un fonds photographique toujours étonnant, du papier glacé. On a déjà regretté sur ce blog le fait que les numéros de la Documentation photographique ne soient jamais à une échelle plus grande que le pays (les dynamismes territoriaux sont mal rendus), qu'on puisse par exemple faire un volume sur l'Afrique du Sud sans évoquer son extraordinaire biodiversité, ainsi que des thèmes parfois vasouilleux (si vous comprenez l'intérêt de faire la géographie d'"habiter le monde", signalez-le nous). C'est notre avis : la Documentation photographique est passionnante quand elle se laisse guider par les nouveautés que le monde nous impose, dans ses mouvements imprévisibles : elle nous fait alors découvrir quelque chose ("Géopolitique du Moyen Orient", "Minerais et Energies", "l'Agriculture mondialisée", "L'Arctique", "la Ville Africaine", "l'Inde ou le grand écart", "l'Outre-Mer français en mouvement" pour aller chercher un peu plus loin). A l'inverse, elle nous déçoit quand elle tente de tordre la réalité pour nous démontrer quelque chose, qu'il s'agisse de répondre à une demande politique ("Métropoles et mondialisation", "La France une géographie du mouvement"), ou qu'il s'agisse de répondre à une nécessité pédagogique ("Le Rhin, une géohistoire", "Représenter le monde").

Le numéro consacré à la mondialisation est une des grandes synthèses de la Documentation photographique, écrite par Laurent CARROUE, toujours valable plus de dix ans après sa parution

Si la Documentation photographique est désormais éditée par le CNRS, sa fondatrice la Documentation Française édite une autre revue pleine de bonne géographie, à savoir Questions Internationales.

La très sérieuse revue, plus fouillée que la précédente présentée ici, explore des régions du monde ou des thèmes. Plusieurs auteurs contribuent à chaque numéro, qui fait 120 pages. Si l'on prend les derniers numéros, ils sont consacrés à :

-n°115 : L'Afrique : Atouts et périls

-n°113-114 : Les démocraties à l'épreuve

-n°112 : L'Amérique latine

-n°111 : L'Europe post-brexit

Enfin, et pour sortir de la Documentation française, il faut citer l'inénarrable Historiens et Géographes, qui consacre une belle part de ses articles scientiques à la géographie. Alors certes, on peut se gausser de la mise en page très vintage de la revue. Des illustrations un peu trop maison - l'APHG qui édite ne travaille visiblement pas avec un illustrateur de Getty Images. Mais jugez sur pièce : des dossiers parfois lumineux, des mises au point sur des thèmes, et surtout, des pages de recension qui sont faites par les meilleurs spécialistes.

Bibliographie critique de géographie n'a donc selectionné ici que 7 revues de vulgarisation, parmi les plus accessibles à notre goût. Pourtant, il existe beaucoup plus de revues de géographie scientifiques, qu'il nous faudra au moins recenser dans un prochain billet de blog.

En attendant il reste au géographe ou apprenti géographe la possibilité de flâner dans le secteur "géographie" des salles de périodiques des bibliothèques. La plus fournie et tout naturellement située au 191 de la rue St Jacques à Paris, à la Mecque de la géographie française, c'est-à-dire l'Institut de Géographie (photo). Avec 144 périodiques, sa salle "périodiques" est la plus fournie qui existe, même si elle triche un peu sur l'estampille "géographie" de certaines revues reçues (Urbanisme, le Cyclope sur les marchés mondiaux...)